Mise en lumière des diverses facettes du débat public éolien en mer

1 mars 2022 à 07:43

Tandis que s’achèvera prochainement le débat public Nouvelle Aquitaine, visant à éclairer le choix de l’Etat dans la détermination d’une future zone propice au déploiement de deux parcs au large de de l’Ile d’Oléron, se tient actuellement depuis janvier 2022 une concertation préalable relative aux futurs parcs éoliens en mer dans la zone Centre Manche. Débat public, concertation préalable, enquête publique…, les manifestations de la pratique participative, notamment dans le cadre de l’éolien en mer, sont protéiformes et ne procèdent pas nécessairement des mêmes motivations. Une ligne directrice se dessine néanmoins, à savoir le déplacement du curseur de la participation du public toujours plus en amont dans le calendrier du processus décisionnel. En effet, l’enquête publique, n’intervient qu’en aval du processus de décision, après réalisation de l’évaluation environnementale.

C’est pourquoi à partir des années 1970 s’est amorcée une phase de réformes visant à instituer des procédures de participation du public avant la tenue des enquêtes publiques et avant que le projet ne soit arrêté par le maître d’ouvrage. La loi Barnier du 2 février 1995 a ainsi institué la procédure de débat public orchestrée par la Commission nationale du débat public (CNDP). Jusqu’à la loi ESSOC (Loi pour un État au service d’une société de confiance du 10 août 2018), le débat public éolien en mer permettait certes au public de se prononcer plus tôt sur le projet que dans le cadre de l’enquête publique, mais toujours bien après la détermination du site propice au projet en mer et après les procédures de mise en concurrence. La loi ESSOC a donc remonté le curseur d’un cran en plaçant le débat public en amont des appels d’offres afin que le public ait un droit de regard sur le choix de l’implantation du parc, ce qui devait être le cas du débat public en Normandie, qui ne devait concerner officiellement que la sélection d’un parc éolien de 1 GW maximum. Selon le maître d’ouvrage en effet, le débat se focalisait sur la localisation et les caractéristiques du projet, le calendrier de l’appel d’offres, le choix de la Normandie et la puissance de 1 GW étant des éléments intangibles, fixés par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Les contours de ce débat n’étaient toutefois pas clairs, car la CPDP indiquait qu’au-delà de la sélection de ce parc de 1 GW, « la participation du public pourra également porter sur la détermination d’une ou plusieurs zones pour de futurs appels d’offres. » étendant le champ du débat à de la planification de l’éolien en Manche. Par courrier du 21 mars 2019, l’État a saisi la CNDP afin de définir les modalités de participation du public pour se prononcer non seulement sur la localisation d’un 1er parc de 1GW qui serait attribué en 2020 au sein d’une zone de 300 km2, mais aussi, et ce compte tenu des objectifs de développement de l’éolien en mer posé dans le projet de PPE, sur le choix d’autres zones, d’environ 300 km2 chacune, qui seraient susceptibles d’accueillir d’autres parcs et les raccordements associés, pour des lauréats désignés à partir de 2023. Du 15 novembre 2019 au 19 août 2020, le public a donc contribué à la construction d’une carte participative dont l’Etat s’est inspiré pour fixer la zone du 1er parc de 1GW, loin de la mer territoriale. C’est ainsi que le projet Centre Manche de 1 GW a été arrêté par décision ministérielle du 4 décembre 2020, dans une zone de 500 km2, laissant ainsi la place pour un second parc. Une superficie de 183 km2 a ensuite été retenue pour ce 1er parc dans le cadre de la procédure de mise en concurrence.

Afin de poursuivre la démarche amorcée au cours de ce débat public pour localiser d’autres parcs, la ministre chargée de l’énergie a saisi le 24 septembre 2021 la CNDP, conformément à l’article L. 121-8-1 du code de l’environnement. La CNDP a décidé le 6 octobre 2021, en vertu de la faculté qui lui est offerte par l’article L.121-9 du même code, d’organiser, non pas un second débat public mais une concertation préalable, visant à permettre au public de se prononcer sur la possibilité et les conditions d’installation, au sein de la même zone issue du débat public de 2020, d’un nouveau projet de parc en mer d’une puissance pouvant atteindre 1,5 GW. Le public pourra, dans le cadre de cette concertation, prendre connaissance des études supplémentaires réalisées depuis le débat public, faire des propositions pour le cahier des charges de la procédure de mise en concurrence qui sera lancée à l’issue de la concertation préalable, ainsi que pour une meilleure intégration du projet dans son environnement. Cette concertation préalable, d’une durée de 3 mois maximum, dont les modalités sont décrites aux articles L. 121-15-1, L. 121-16 et L. 121-16-1 du code de l’environnement, se tient actuellement sous l’égide de trois garants, au lieu et place d’une commission particulière dédiée.

Il peut être utile de préciser que de façon générale pour certains projets ne relevant pas du champ d’application de l’article L.121-8 du code de l’environnement, la CNDP peut décider, lorsqu’elle est saisie spontanément par le maître d’ouvrage, d’organiser non pas un débat public mais une concertation préalable. Ce fut le cas du Grand Port Maritime de la Rochelle, par lettre de saisine de la CNDP du 25 septembre 2017, dans le cadre de travaux d’aménagement, notamment pour l’accueil des EMR, dont le montant était inférieur aux seuils requis pour le débat public (décision n°2017/51/PALR/1 du 4 octobre 2017).

Les futurs parcs normands viendront ainsi compléter les 2 parcs actuellement en projet de construction au large de Courseulles-sur-Mer et de Fécamp, attribués à l’issue d’appels d’offres organisés en 2011 (comme celui de Saint-Nazaire et de Saint-Brieuc), ainsi que le projet de parc de Dieppe le Tréport attribué en 2013. Mais contrairement aux 3 autres parcs normands, issus d’une même planification sectorielle sous tutelle des préfets coordonnateurs, dont l’arène de la concertation publique s’est limitée aux acteurs maritimes, dont les pêcheurs, la localisation du projet Centre Manche procède certes d’une même démarche de planification sectorielle, mais soumise à la participation du public dans le cadre de ce débat public tenu de 2019 à 2020 et de la concertation préalable qui prendra fin en mai 2022. Le curseur de la participation du public s’est donc à nouveau déplacé plus en amont, portant non seulement sur le choix de localisation d’un parc, mais aussi sur des macro-zones plus larges, participant ainsi à la planification sectorielle des EMR.

Le débat public éolien flottant en Méditerranée qui s’est achevé le 31 octobre 2021, ainsi que le débat public Nouvelle Aquitaine en cours, portent quant à eux de façon plus claire sur la détermination de macro-zones au sein desquelles seront implantées des parcs, et non sur la localisation de parcs proprement dits. Le débat éolien flottant envisageait la détermination de macro-zones de 3300 km2 au total – une première en termes de surface débattue pour un projet d’éolien en mer, mais il n’a toutefois pas débouché sur la détermination de zones propices. Dans le cadre du débat public Nouvelle Aquitaine, la zone d’étude pour localiser un premier parc éolien en mer, qui se situe à une distance entre 10 et 30 kilomètres de l’Ile d’Oléron, mesure 300 km2. Le parc finalement construit n’occupera qu’une partie de cette surface, de l’ordre de 60 à 90 km2 pour un parc de 500 MW et de l’ordre de 120 à 180 km2 pour un parc de 1 000 MW. La zone d’étude envisagée pourra néanmoins plus que doubler, et passer à 750 km2.

Je vous invite à consulter le numéro 6 de Mer-Veille Energie relatif aux ports du futur, dans lequel j’ai eu l’occasion d’expliquer plus en détail les principes de participation et d’information du public.

https://www.energiesdelamer.eu/2021/01/27/merveille-energie-6/


Séverine Michalak est Docteur en Droit-Transition énergétique/énergies marines renouvelables.